10

Pathologie

 

— Votre pistolet est à l’arrière de la voiture, lui dit le sergent Douglas. Non chargé. Et qu’il le reste à l’avenir.

— Du nouveau pour Pam ? demanda Kelly, dans sa chaise roulante.

— On a quelques pistes, répondit Douglas, sans même chercher à dissimuler le mensonge.

Et cela expliquait tout, songea Kelly. Quelqu’un avait révélé à la presse que Pam avait un casier pour prostitution et après une telle révélation, l’affaire avait soudain perdu son urgence.

Sam avait ramené lui-même le Scout jusqu’à l’entrée de Wolfe Street. La carrosserie était entièrement réparée et il y avait une vitre neuve du côté conducteur. Kelly quitta sa chaise roulante pour examiner longuement le 4 × 4. L’encadrement de la portière et le pied adjacent lui avaient sauvé la vie en interceptant une partie de la volée de plombs. Bien mal visé de la part de son adversaire, surtout après une traque aussi soigneusement menée – aidée par le fait qu’il n’avait pas pris la peine de regarder dans ses rétros, se dit Kelly. Comment avait-il pu oublier une chose pareille, se répéta-t-il pour la millième fois. Une précaution si simple, le genre de chose qu’il soulignait pour chaque nouvelle recrue intégrant le 3e SOG : toujours regarder derrière soi, car on peut avoir un ennemi aux trousses. Pourtant pas difficile à se rappeler, non ?

Mais c’était du passé. Et le passé ne pouvait pas être changé.

— Vous retournez dans votre île, John ? demanda Rosen.

Kelly acquiesça.

— Ouais. J’ai du boulot qui m’attend, et il faut que je me retape.

— Je veux vous revoir d’ici, oh, disons deux semaines, pour une visite de contrôle.

— Bien, docteur. J’y serai, promit Kelly. Il remercia Sandy O’Toole de sa sollicitude et fut récompensé par un sourire. Elle était presque devenue une amie dans l’intervalle des dix-huit derniers jours. Presque ? Peut-être l’était-elle déjà devenue, si seulement il pouvait se permettre de penser en de tels termes.

Kelly monta dans sa voiture et attacha sa ceinture. Les adieux n’avaient jamais été son fort. Il hocha la tête, leur sourit, et démarra, tournant à droite vers Mulberry Street, à nouveau seul pour la première fois depuis son arrivée à l’hôpital.

Enfin. Près de lui, sur le siège du passager où il avait vu Pam en vie pour la dernière fois, il avisa une enveloppe de papier bulle marquée DOSSIER MÉDICAL/FACTURES de la grosse écriture de Sam Rosen.

— Bon Dieu, dit Kelly dans un souffle, en prenant vers l’ouest. Il ne se contentait plus d’observer la circulation, désormais. Le paysage urbain était à jamais transformé pour John Kelly. Les rues étaient devenues un curieux mélange de vide et d’activité, et ses yeux scrutaient en tous sens, reprenant une habitude qu’il avait fini par oublier, se focalisant sur les individus dont l’inactivité lui semblait suspecte. Il allait lui falloir du temps, se rendit-il compte, pour faire la part des choses. La circulation était clairsemée et de toute manière, les gens ne s’attardaient pas dans ces rues-là. Kelly regarda à gauche et à droite pour vérifier que les autres chauffeurs regardaient bien devant eux, éliminant tout ce qui les entourait, comme il le faisait encore naguère, s’arrêtant, mal à l’aise, aux feux rouges qu’ils ne pouvaient décemment pas brûler, mais écrasant le champignon dès qu’ils repassaient au vert. Espérant bien laisser tout ça derrière eux, espérant que les problèmes resteraient ici et surtout ne sortiraient pas pour aller essaimer ailleurs, là où vivaient les honnêtes gens. En ce sens, c’était l’inverse du Viêt-Nam, n’est-ce pas ? Là-bas, les sales trucs étaient dehors, dans la cambrousse, et vous faisiez tout pour les empêcher d’entrer. Kelly se rendit compte qu’il était rentré au pays pour ne retrouver que le même genre de folie et le même genre d’échec dans un environnement bien différent. Et il s’était montré aussi coupable et aussi imbécile que les autres.

Le Scout prit à gauche, vers le sud, longeant un autre hôpital, un vaste bâtiment blanc. Le quartier des affaires, des banques et des bureaux, le tribunal, l’hôtel de ville, une bonne partie de la ville investie dans la journée par les honnêtes gens qui s’empressaient de la quitter la nuit, en bloc, parce qu’ils trouvaient la sécurité dans leur troupeau pressé. Bien policés, parce que sans ces gens et leur commerce, la cité était promise à une mort certaine. Ou quelque chose d’équivalent. Peut-être que ce n’était pas une question de mort, en fin de compte, mais simplement de vitesse.

Même pas deux kilomètres et demi, remarqua Kelly. Tant que ça ? Il faudrait qu’il vérifie sur un plan. Une distance en tout cas dangereusement réduite entre ces gens et ce qu’ils redoutaient. Arrêté à une intersection, il pouvait voir très loin, car les artères de la ville, telles des tranchées coupe-feu, offraient d’étroites et longues perspectives rectilignes. Le feu passa au vert et il embraya.

Le Springer était à son emplacement habituel, vingt minutes plus tard. Kelly rassembla ses affaires et monta à bord. Dix minutes après, les diesels haletaient, la climatisation fonctionnait, et il était de retour dans sa petite bulle blanche de civilisation, prêt à larguer les amarres. Ayant arrêté les analgésiques et en manque de bière et d’un peu de détente – simple retour symbolique à la réalité –, il renonça néanmoins à l’alcool. Son épaule gauche était d’une raideur inquiétante bien qu’il en ait, plus ou moins, recouvré l’usage depuis près d’une semaine. Il tourna en rond dans le grand salon, en décrivant de larges moulinets de bras, grimaçant de douleur à chaque élancement du côté gauche, avant de monter sur le pont pour démarrer. Murdock sortit pour observer la manœuvre, à la porte de son bureau, mais il ne dit rien.

La mésaventure de Kelly avait fait les gros titres, même si sa relation avec Pam n’avait pas été évoquée, les journalistes n’ayant sans doute pas réussi à établir de rapport. Le plein des réservoirs était fait, tous les équipements semblaient en ordre de marche, mais il ne vit pas la moindre facture pour les travaux effectués par le chantier.

Kelly avait du mal à manier les amarres car son bras gauche refusait d’obéir aux ordres que son esprit lui donnait avec sa régularité habituelle. Il y parvint tant bien mal et le Springer s’éloigna du quai. Quand il eut quitté le bassin de plaisance, Kelly descendit s’installer au poste de pilotage du salon, barrant une course rectiligne pour quitter la baie, dans l’abri confortable de la cabine fermée et climatisée. Ce n’est qu’après être sorti de la passe, une heure plus tard, qu’il se permit de quitter l’eau des yeux. Un soda l’aida à faire passer deux cachets de Tylénol. C’était le seul médicament qu’il s’était autorisé ces trois derniers jours. Le dos bien calé dans le fauteuil du capitaine, il ouvrit enfin l’enveloppe que lui avait laissée Sam, pendant que le pilote automatique dirigeait le bateau vers le sud.

Seules les photos n’étaient pas incluses. Il en avait aperçu une et ça lui avait suffi. Une note manuscrite rajoutée en couverture – toutes les pages du dossier étaient des photocopies, pas des originaux – révélait que le professeur de pathologie avait obtenu les clichés de son ami, le médecin légiste, et recommandait à Sam la plus extrême prudence dans l’exploitation du dossier. Kelly ne put déchiffrer la signature.

Sur la couverture, les cases « mort suspecte » et « homicide » étaient cochées. La cause du décès, indiquait le rapport, était par strangulation manuelle avec un ensemble de marques de ligatures étroites et profondes autour du cou de la victime. La gravité et la profondeur des marques suggéraient que la mort cérébrale était survenue par privation d’oxygène avant même que l’écrasement du larynx n’interrompe l’arrivée de l’air aux poumons. Les striures sur la peau indiquaient que l’instrument utilisé était probablement un lacet de chaussure et, d’après la position des ecchymoses autour de la gorge, sans doute provoquées par les phalanges d’un homme pourvu de grandes mains, on pouvait inférer que le tueur regardait en face sa victime tandis qu’il perpétrait son acte. Le compte rendu se poursuivait sur cinq pages en simple interligne en précisant que la victime avait été soumise à des sévices violents et fortement traumatisants avant sa mort, sévices qui étaient complaisamment décrits avec toute la sécheresse de la prose médicale. Un formulaire joint précisait qu’on l’avait violée, d’autant que l’aire génitale présentait des signes manifestes de meurtrissures et autres mauvais traitements. Une quantité de sperme exceptionnellement abondante était encore évidente dans le vagin après la découverte de la victime et son autopsie, indiquant que le meurtrier n’avait pas été seul à violer la victime. (« Groupes sanguins O +, O – et AB –, selon le rapport sérologique joint. ») De multiples ecchymoses et coupures dans la région des mains et des avant-bras étaient qualifiées de « classiquement défensives ». Pam avait lutté jusqu’au bout. Le maxillaire avait été brisé, de même que trois autres os, dont une fracture multiple du cubitus gauche. Kelly dut poser le rapport du médecin légiste et contempler l’horizon avant de reprendre sa lecture. Ses mains ne tremblaient pas, et il ne proféra pas un seul mot, mais il avait besoin d’oublier un instant cette froide terminologie médicale.

« Comme tu le constateras d’après les photos, Sam, poursuivait la note manuscrite au dos du dossier, « c’est là l’œuvre d’une bande de types franchement malades. Il s’agit de torture délibérée. Tout cela a dû prendre des heures. Encore un point omis dans le rapport. Examine bien le cliché n°6. Ses cheveux ont été peignés ou brossés, peut-être, presque certainement post-mortem. Le détail semble avoir échappé au pathologiste qui a pratiqué l’autopsie. C’est un jeunot. (Alan n’était pas sur place quand elle est arrivée, sinon je suis certain qu’il s’en serait chargé en personne.) Ça paraît plutôt bizarre mais c’est manifeste d’après la photo. Marrant comme les trucs les plus évidents peuvent vous échapper. C’était sans doute son premier cas de ce genre et il était probablement trop occupé à établir la liste de tous les sévices importants pour relever un détail aussi mineur. Je crois savoir que tu connaissais la fille. Je suis désolé, mon ami. » La page était signée « Brent », de manière plus lisible que sur la couverture de la chemise. Kelly fit de nouveau glisser le tout dans l’enveloppe.

Il ouvrit un tiroir de la console, en retira une boîte de cartouches de .45 ACP et garnit deux chargeurs pour son automatique qui retourna dans le tiroir. Il y avait peu de choses plus inutiles qu’un pistolet vide. Puis il se rendit dans la cambuse et choisit sur les rayons la plus lourde des boîtes de conserve. De retour au poste de pilotage, il prit la boîte dans la main gauche et reprit ce qu’il faisait depuis maintenant près d’une semaine : se servir de la boîte comme d’un haltère, en élévation et en extension, cherchant la douleur, la savourant tandis que ses yeux continuaient à scruter la surface de l’eau.

— Plus jamais, Johnnie-boy, se dit-il tout haut sur le ton de la conversation. Plus jamais question de refaire des erreurs. Plus jamais.

 

Le C-141 atterrit à la BA de Pope, la base aérienne qui jouxtait Fort Bragg, en Caroline du Nord, peu après midi, mettant un terme à un vol qui avait débuté à plus de douze mille kilomètres de là. Le gros quadriréacteur de transport toucha la piste assez rudement. L’équipage était fatigué, malgré les escales en cours de route, et les passagers n’avaient pas besoin d’être particulièrement ménagés. Sur ce genre de vol, ils étaient rarement vivants. Les troupes rapatriées du théâtre d’opérations empruntaient les « Freedom Birds », ces Oiseaux de la Liberté, presque invariablement des avions de lignes commerciales réquisitionnés dont les hôtesses distribuaient avec libéralité alcools et sourires durant tout le long voyage de retour au monde réel. Ce genre de confort n’était pas nécessaire pour les vols à destination de Pope.

L’équipage se contentait des plateaux-repas standard de l’Air Force, sans avoir droit aux plaisanteries habituelles des jeunes aviateurs.

Le roulage au sol ralentit l’appareil qui vira au bout de la piste d’atterrissage pour s’engager sur une bretelle de roulement, pendant que les hommes s’étiraient sur leurs sièges. Le pilote, un capitaine, connaissait la procédure par cœur, mais il y avait une jeep peinte en orange vif, au cas où il aurait oublié, et il la suivit jusqu’au centre de réception. Son équipage et lui avaient depuis longtemps cessé de s’interroger sur la nature de leur mission. C’était un boulot, un boulot nécessaire, point final, estimaient-ils en descendant de l’appareil pour leur période de repos réglementaire qui consistait, après un bref rapport de mission avec notification des éventuelles avaries présentées par l’appareil au cours des trente dernières heures, à filer au mess des officiers boire un verre, puis prendre une douche et aller dormir dans leurs quartiers. Aucun des hommes ne se retourna pour regarder l’appareil. Ils le reverraient bien assez tôt.

La nature routinière de la mission était contradictoire. Dans la plupart des conflits précédents, des soldats américains avaient été inhumés près de l’endroit où ils étaient tombés, comme en témoignaient les cimetières américains en France et ailleurs. Tel n’était pas le cas pour le Viêt-Nam. C’était comme si les gens comprenaient qu’aucun Américain n’avait envie de rester là-bas, mort ou vif, et tous les corps récupérés étaient rapatriés ; après avoir transité par un centre de traitement dans la banlieue de Saigon, chaque corps était de nouveau traité avant d’être rapatrié vers la ville natale qui avait envoyé ces hommes, souvent jeunes, mourir dans un pays lointain. Dans l’intervalle, les familles avaient le temps de décider du lieu de l’inhumation et les instructions concernant ces dispositions attendaient chaque corps identifié par son nom sur le manifeste de bord.

Au centre d’accueil, des employés civils des pompes funèbres attendaient les corps. C’était une spécialité que les militaires ne prenaient pas en compte dans la multiplicité de leurs stages d’instruction. Un officier en uniforme était toujours là pour vérifier les identités car il était de la responsabilité des autorités militaires de s’assurer que le bon corps était restitué à la bonne famille, même si les cercueils qui quittaient ce centre étaient scellés dans presque tous les cas. Les dommages physiques d’une mort au combat, ajoutés aux dégâts occasionnés par une récupération souvent tardive en climat tropical, n’étaient pas le genre de spectacle qu’il était loisible ou nécessaire d’imposer aux familles du cher disparu. En conséquence, l’identification positive des restes n’était pas franchement vérifiable, raison pour laquelle l’armée prenait cette mission extrêmement au sérieux.

Le centre était formé d’une vaste salle où de nombreux corps pouvaient être accueillis simultanément, même si elle ne connaissait pas la même activité que par le passé. Les hommes qui travaillaient ici ne crachaient pas sur une plaisanterie scabreuse et certains n’hésitaient pas à consulter les prévisions météo de cette partie du monde pour prédire l’état de la cargaison de la semaine suivante. L’odeur seule suffisait à repousser l’observateur de passage et on voyait bien rarement la visite d’un officier supérieur, encore moins d’un fonctionnaire civil du ministère de la Défense, au fragile équilibre desquels le spectacle risquait d’être préjudiciable. Mais on finissait par s’habituer à la puanteur et celle des produits de conservation était de loin préférée à toutes les autres odeurs associées à la mort. Un de ces corps, celui du Spécialiste de quatrième classe, Duane Kendall, portait de multiples blessures thoraciques. Il avait réussi à tenir jusqu’à l’hôpital de campagne, constata le croque-mort. Une partie des balafres témoignaient du travail désespéré d’un chirurgien de front – les incisions qui lui auraient valu les foudres de son chef de service dans un hôpital civil étaient bien moins esthétiques que les marques faites par les fragments d’un engin piégé. Le chirurgien avait peut-être passé vingt minutes à tenter de sauver celui-ci, estima le croque-mort, en s’interrogeant sur les raisons de son échec – sans doute le foie, décida-t-il au vu de la localisation et de la taille des incisions. Ce n’est pas le genre d’organe dont on peut se passer longtemps, si bon que soit votre toubib. Plus intéressant pour l’homme était l’étiquette blanche glissée entre le bras droit et le torse et qui confirmait une marque, apparemment inscrite au hasard, sur la carte fixée à l’extérieur du conteneur dans lequel le corps était arrivé.

— Identité confirmée, annonça le croque-mort au capitaine qui faisait sa tournée, muni d’un calepin et accompagné d’un sergent. L’officier confronta l’information avec ses propres dossiers et passa au suivant avec un signe de tête, laissant l’employé des pompes funèbres à son travail.

Il y avait toutes les tâches habituelles à accomplir et l’employé s’y livra sans hâte ni indolence, relevant la tête pour vérifier que le capitaine était à l’autre bout de la salle. Puis il tira le fil d’une des coutures effectuées par un autre croque-mort à l’autre bout de la filière. La couture s’ouvrit de bout en bout presque instantanément, lui permettant de plonger la main dans la cavité abdominale pour en retirer quatre sachets de plastique transparent remplis d’une poudre blanche qu’il fourra rapidement dans son sac avant de refermer l’ouverture béante dans le corps de Duane Kendall. C’était sa troisième et dernière récupération de la journée. Une demi-heure encore passée sur une autre dépouille, et sa journée de travail était finie. L’employé des pompes funèbres regagna sa voiture, une Mercury Cougar, et quitta la base. Il s’arrêta à un supermarché Winn-Dixie pour acheter une miche de pain, et en profita pour glisser quelques pièces dans un taxiphone.

 

*

 

— Ouais ? dit Henry Tucker en décrochant à la première sonnerie.

— Huit. On raccrocha.

— Bien, dit Tucker, en fait pour lui seul, en reposant le combiné. Huit kilos pour celui-ci. Sept pour son autre homme ; chacun ignorait l’existence de l’autre, et pour chacun, le ramassage s’effectuait un jour différent de la semaine. Le rythme pouvait rapidement croître maintenant qu’il avait repris en main ses problèmes de distribution.

Le calcul était simple. Chaque kilo faisait mille grammes. Chaque kilo était dilué avec un produit neutre, tel que le lactose, que ses amis obtenaient auprès d’un grossiste en produits alimentaires. Après un mélange soigneux pour assurer l’uniformité de tout le lot, d’autres comparses répartissaient la poudre en vrac en plusieurs « charges » de drogue qui seraient vendues en lots plus petits. La qualité et la réputation croissante de sa marchandise permettaient un prix de revente plus élevé que la moyenne, qui était anticipé par le prix de gros que lui réglaient ses amis blancs.

Le problème allait bientôt devenir celui de l’échelle. Tucker avait débuté petit, en homme prudent, et le volume attirait les convoitises. Mais bientôt cela deviendrait impossible. Son approvisionnement en héroïne pure raffinée était bien plus vaste que ne le croyaient ses partenaires. Pour l’heure, ils étaient déjà contents d’avoir une qualité si élevée, et il ne comptait leur dévoiler que progressivement le volume disponible, sans jamais leur donner le moindre indice sur la méthode d’expédition dont il ne cessait de se féliciter. Son élégance absolue était sidérante, même pour lui. D’après les meilleures estimations gouvernementales – il se tenait régulièrement au fait de ce genre de données –, les importations d’héroïne en provenance d’Europe, par la filière « française » ou « sicilienne », car ils semblaient ne jamais arriver à s’accorder sur la terminologie, s’élevaient en gros à une tonne de drogue pure par an. Un chiffre appelé à croître, estimait Tucker, car la drogue devenait de plus en plus le vice à la mode aux États-Unis. S’il réussissait à faire entrer, ne fût-ce que vingt kilos par semaine – et sa technique d’expédition permettait bien plus –, il ferait tomber ce record, et sans avoir à se soucier des inspecteurs des douanes. Tucker avait monté son réseau en veillant soigneusement aux questions de sécurité. Pour commencer, aucun des responsables importants de son équipe ne touchait à la drogue. Le faire était signer son arrêt de mort, consigne qu’il avait illustrée dès le commencement, de la manière la plus simple et claire qui soit. Le tout début de la chaîne ne requérait que six hommes. Deux se procuraient la drogue auprès de sources locales dont la sécurité était garantie par les moyens habituels – de grosses sommes d’argent versées aux personnes idoines. Les quatre croque-morts employés sur place étaient grassement payés et on les avait sélectionnés pour leur stabilité toute professionnelle. L’Armée de l’air américaine se chargeait du transport, réduisant les coûts et les migraines occasionnées par ce qui était d’ordinaire la phase la plus complexe et la plus risquée du processus d’importation. Les deux employés de la station d’accueil étaient tout aussi consciencieux. Plus d’une fois, avaient-ils rapporté, les circonstances les avaient contraints à laisser l’héroïne dans les corps, qui avaient été ensuite inhumés comme prévu. C’était évidemment regrettable, mais une affaire qui tourne est une affaire gérée avec prudence, et le bénéfice à la revente compensait amplement la perte. En outre, ces deux-là savaient ce qui leur arriverait si jamais leur prenait l’idée de distraire deux ou trois kilos pour leur profit personnel.

À partir de là, il ne s’agissait plus que de transporter la marchandise par la route jusqu’à une planque pratique, phase dont se chargeait un homme de confiance grassement payé et qui n’avait jamais commis le moindre excès de vitesse. Mais son coup de maître, estima Tucker en sirotant une gorgée de bière sans cesser de regarder le match de base-ball, avait été de venir s’installer dans la baie. En sus de tous les avantages que lui procurait le site, il avait donné à ses nouveaux partenaires des raisons de croire que la drogue était débarquée de navires remontant la baie de Chesapeake pour rejoindre le port de Baltimore – ce qu’ils jugeaient d’une habileté diabolique – alors qu’en réalité, il la transportait lui-même depuis un lieu de ramassage discret. Angelo Vorano en avait apporté la preuve en s’achetant son petit voilier ridicule et en se proposant pour effectuer la collecte. Convaincre Eddie et Tony qu’il les avait vendus aux flics avait été dérisoirement facile.

Avec un peu de veine, il pourrait s’approprier le marché entier de l’héroïne sur la côte Est, aussi longtemps que des Américains continueraient à mourir au Viêt-Nam. Il était également temps d’envisager une solution de rechange en prévision de la paix qui ne manquerait pas de survenir un jour. D’ici là, il avait besoin de réfléchir au moyen d’étendre son réseau de distribution. Celui dont il disposait, s’il fonctionnait bien et s’il lui avait valu l’attention de ses nouveaux partenaires, n’allait pas tarder à être dépassé. Il était trop réduit pour ses ambitions, et bientôt il allait falloir le restructurer. Mais chaque chose en son temps.

 

*

 

— D’accord, c’est officiel. Douglas lâcha sur le bureau le dossier de l’affaire et regarda son patron.

— Comment ça ? demanda le lieutenant Ryan.

— Primo, personne n’a rien vu. Secundo, personne ne savait pour quel maquereau elle bossait. Tertio, plus personne même ne sait qui elle était. Son père m’a raccroché au nez après m’avoir dit qu’il ne lui avait plus adressé la parole depuis quatre ans. Son petit copain n’y a vu que du feu avant ou après qu’on lui a tiré dessus. L’inspecteur s’assit.

— Et cette histoire n’intéresse plus le maire, ajouta Ryan pour compléter le résumé de l’affaire.

— Tu sais, Em, ça ne me gêne pas de mener une enquête non officielle, mais ça ne vaut rien pour mon taux de réussite. Et si je n’ai pas de promotion au prochain conseil ?

— Marrant, ça, Tom.

Douglas secoua la tête, regarda dehors.

— Merde, et si c’était bien le Duo Dynamo ? lança le sergent, déçu. Le couple de voleurs à la carabine avait encore tué l’avant-veille au soir. La victime, cette fois, avait été un avocat d’Essex. Un témoin oculaire, dans une voiture garée à cinquante mètres de là, avait confirmé qu’il s’agissait bien de deux hommes, ce qui n’était pas franchement un scoop. On avait également tendance, dans les rangs de la police, à estimer que le meurtre d’un avocat n’était pas vraiment un crime, mais aucun des hommes n’aurait pris cette enquête à la légère.

— Fais-moi savoir quand tu commenceras à croire à cette hypothèse, lança tranquillement Ryan. L’un comme l’autre n’étaient pas dupes, évidemment. Ces deux-là n’étaient que de vulgaires braqueurs. Ils avaient tué plusieurs fois, et à deux reprises avaient conduit le véhicule de leur victime sur une brève distance, mais les deux fois, il s’était agi d’un modèle de sport et sans doute ne cherchaient-ils qu’à se payer un peu de bon temps au volant d’une chouette bagnole. La police connaissait leur taille, la couleur de leur peau et guère plus. Mais les Duettistes étaient des truands très pros, alors que l’assassin de Pamela Madden avait tenu à signer son crime d’une manière toute personnelle ; à moins qu’un nouveau genre de tueur sérieusement malade ne sévisse dans le coin, possibilité qui ne faisait qu’ajouter une complication à leur existence de flic déjà passablement chargée.

— On n’était pas loin, hein ? demanda Douglas. La fille avait des noms, des visages, et c’était un témoin oculaire.

— Mais on n’aurait jamais su qu’elle était là-bas si l’autre crétin ne nous l’avait pas perdue, observa Ryan.

— En attendant, il est retourné dans son trou, et nous, nous voilà revenus à notre point de départ. Douglas ramassa le dossier et regagna son bureau.

 

*

 

Ce n’est qu’après la tombée de la nuit que Kelly amarra le Springer. Il leva les yeux et nota qu’un hélicoptère était au-dessus de lui, sans doute en mission quelconque pour la base aéronavale toute proche. En tout cas, il passa sans cercler ou s’attarder. Dehors, l’air était lourd, moite et confiné. À l’intérieur de la casemate, c’était pire, et il lui fallut une heure pour mettre en régime la climatisation. La « maison » lui sembla plus vide qu’auparavant, pour la seconde fois en l’espace d’un an, les pièces étaient automatiquement plus vastes, sans quelqu’un d’autre pour l’aider à occuper l’espace. Kelly tourna en rond durant une quinzaine de minutes. Sans but, jusqu’à ce qu’il se surprenne à contempler les vêtements de Pam. Un déclic se produisit alors dans son cerveau pour lui dire qu’il était en train de chercher quelqu’un qui n’était plus là. Il prit les articles et les empila soigneusement dans ce qui avait été naguère la commode de Tish, et aurait pu devenir celle de Pam. Peut-être que le plus triste dans tout ça était qu’il en restait si peu. Le short coupé, le caraco, quelques articles plus intimes, la chemise de flanelle qu’elle portait pour la nuit, ses chaussures bien usées au sommet de la pile. Si peu de choses pour se souvenir d’elle.

Kelly s’assit au bord du lit, contemplant les objets. Combien de temps en tout ? Trois semaines ? Seulement ? Cela ne se ramenait pas à cocher des jours sur un calendrier car le temps ne se mesurait pas vraiment de cette manière. Le temps était ce qui comblait les espaces vides de votre vie, et ces trois semaines avec Pam avaient été plus longues et plus profondes que tout le temps écoulé depuis la mort de Tish. Mais tout cela appartenait désormais à un lointain passé. Son séjour à l’hôpital ne lui semblait avoir duré qu’un clin d’œil mais c’était comme s’il avait érigé un mur entre cette partie si précieuse de son existence et l’endroit où il se trouvait maintenant. Il pouvait toujours s’approcher du mur, pour regarder par-dessus ce qui avait été, mais qui lui serait à jamais inaccessible. La vie pouvait être si cruelle, et la mémoire une telle malédiction, rappel sarcastique de ce qui avait existé et aurait pu s’épanouir si seulement il avait agi différemment. Pis que tout, le mur entre là où il était et là où il aurait pu se rendre avait été construit par lui, de la même manière que quelques instants plus tôt, il avait empilé les effets de Pam parce qu’ils ne servaient plus à rien. Il lui suffisait de fermer les yeux pour la voir. Dans le silence, il l’entendait, mais les odeurs s’étaient évanouies, son contact aussi.

Kelly tendit la main vers le lit et caressa la chemise de flanelle, se souvenant de ce qu’elle avait naguère recouvert, se souvenant comment ses grosses mains robustes avaient maladroitement défait les boutons pour y trouver à l’intérieur son amour, mais à présent ce n’était qu’un simple bout d’étoffe dont la forme ne contenait que de l’air, et encore, si peu. C’est à cet instant que Kelly se mit à sangloter pour la première fois depuis qu’il avait appris sa mort. Son corps tremblait, secoué par la réalité du fait, et seul entre ses murs de béton armé, il appela son nom, espérant que quelque part elle pourrait l’entendre et, d’une manière ou de l’autre, lui pardonner de l’avoir tuée par sa stupidité. Peut-être avait-elle désormais trouvé la paix. Kelly pria que Dieu daigne comprendre qu’elle n’avait jamais réellement eu sa chance, et reconnaisse la bonté de son caractère et la juge avec miséricorde, mais c’était là un mystère dont la solution allait bien au-delà de ses capacités. Ses yeux étaient confinés aux limites de cette pièce, et ils ne cessaient de revenir à la pile de vêtements.

Les salauds n’avaient même pas accordé à son corps la dignité d’être protégé des éléments et de la concupiscence des hommes. Ils avaient voulu que chacun sache comment ils l’avaient punie, comment ils avaient pris du bon temps avec elle, avant de la jeter comme un détritus tout juste bon à nourrir les oiseaux. Pam Madden n’avait jamais eu la moindre valeur pour eux, sinon peut-être celle d’un objet commode qu’on prend et qu’on jette, de son vivant, et même dans la mort, tout juste bon à démontrer leurs prouesses. Quand elle avait eu un rôle si central dans son existence, voilà le peu d’importance qu’elle avait eue pour eux. Comme la famille du chef de village, réalisa Kelly. Une démonstration : défiez-nous, vous souffrirez. Et si d’autres le découvraient, tant mieux. Telle était l’étendue de leur orgueil.

Kelly s’étendit sur le lit, épuisé par ces semaines de repos forcé suivies d’une longue journée d’exercice. Il fixa le plafond, la lumière toujours allumée, espérant trouver le sommeil, espérant plus encore retrouver Pam dans ses rêves, mais sa dernière pensée consciente fut entièrement différente.

Si son orgueil pouvait tuer, alors le leur également.

 

*

 

Dutch Maxwell arriva à son bureau à six heures trente, comme à son habitude. Bien qu’au titre de chef adjoint des opérations aéronavales, il ne fit plus partie de la hiérarchie opérationnelle, il était toujours vice-amiral, et sa tâche actuelle l’obligeait à considérer comme siens tous les appareils volants utilisés par la Marine. Aussi, le premier dossier au sommet de sa pile de paperasse quotidienne était-il un résumé des opérations aériennes menées la veille au-dessus du Viêt-Nam – aujourd’hui, en fait, mais elles étaient arrivées la veille, suite aux divagations de la Ligne internationale de changement de date, un truc qui lui avait toujours paru ridicule même s’il avait combattu quasiment à cheval sur ladite ligne invisible, au-dessus du Pacifique.

Il s’en souvenait bien : moins de trente ans plus tôt, aux commandes d’un chasseur F4F-4 Wildcat embarqué sur l’USS Enterprise, jeune enseigne avec encore tous ses cheveux – quoique taillés ras –, tout jeune marié, pétant le feu, avec seulement trois cents heures de vol à son actif. Le 4 juillet 1942, en début d’après-midi, il avait repéré trois « Val » japonais, des bombardiers en piqué qui auraient dû suivre le reste de l’escadrille Hiryu pour attaquer le Yorktown mais s’étaient perdus et avaient mis par erreur le cap sur son porte-avions. Il en avait descendu deux dès sa première passe, en les surprenant au sortir d’un nuage. Le troisième avait pris plus longtemps, mais il se souvenait encore des reflets du soleil sur les ailes de sa cible, et des balles traçantes traduisant les futiles efforts du mitrailleur pour le chasser. Au retour sur son bâtiment, quarante minutes plus tard, il avait annoncé trois appareils abattus devant les yeux incrédules de son chef d’escadrille – exploit confirmé par les caméras embarquées. Du jour au lendemain, sa chope à café officielle au mess de l’escadrille était passée de « Winny » – un sobriquet qu’il détestait – à DUTCH, gravé dans la porcelaine en lettres rouge sang, un surnom qu’il devait conserver pour le reste de sa carrière.

Quatre autres sorties de combat lui avaient permis d’ajouter douze trophées au flanc de son appareil et, le moment venu, il avait commandé une escadrille, puis une escadre aérienne, puis un porte-avions, puis un groupe, avant de devenir commandant des forces aériennes de la Flotte américaine du Pacifique et enfin d’assumer ses fonctions actuelles. Avec un peu de chance, un poste de commandant en chef de la Flotte l’attendait à l’avenir, et ses prévisions ne l’amenaient pas au-delà. Le bureau de Maxwell était assorti à son poste et à son expérience. Sur le mur à gauche de son grand bureau d’acajou, était accrochée la tôle de flanc du F6F Hellcat qu’il avait piloté en mer des Philippines et au large des côtes du Japon. Quinze étendards au soleil levant étaient peints sur la tôle bleu foncé, au cas où quelqu’un aurait oublié que le plus ancien des représentants de l’aéronavale au gouvernement était réellement allé au casse-pipe, jadis, et qu’il s’en était sorti plutôt mieux que d’autres. Sa vieille chope du vieil Enterprise trônait également sur son bureau, même si elle ne servait plus à quelque chose d’aussi vulgaire qu’y boire du café, et certainement pas contenir des crayons.

Cette quasi-culmination de sa carrière aurait dû lui procurer une satisfaction absolue ; au lieu de cela, ses yeux s’arrêtèrent sur le compte rendu des pertes quotidiennes envoyé par Yankee Station. Deux bombardiers d’attaque légers A-7A Corsair avaient été perdus et la note précisait qu’ils étaient du même bâtiment et de la même escadrille.

— Comment ça s’est passé ? s’enquit-il auprès du contre-amiral Podulski.

— J’ai vérifié, répondit Casimir. Collision en vol, sans doute. Anders était leader, son ailier Robertson était un bleu. Un incident a dû se produire mais personne n’a su quoi. Pas d’alerte aux SAM, et ils étaient trop haut pour la DCA.

— Des parachutes ?

— Non. Podulski secoua la tête. Le chef d’escadrille a aperçu la boule de feu. Mais il n’y avait plus que des débris.

— Quelle était leur mission ?

Le visage de Cas était éloquent.

— Attaquer ce qu’on soupçonnait être un dépôt de camions. Le reste de l’escadrille est allé au bout, a touché l’objectif. Bonne répartition des bombes mais pas d’explosions induites.

— Donc, toute cette histoire était du temps perdu. Maxwell ferma les yeux, se demandant ce qui avait cloché avec les deux appareils, ce qui avait cloché dans le plan de mission, dans sa carrière, dans la Marine, dans tout le pays.

— Pas du tout, Dutch. Quelqu’un a bien dû estimer que c’était un objectif important.

— Cas, on est trop tôt le matin pour ce genre de discussion, d’accord ?

— Oui, chef. Le CAG enquête sur les circonstances de l’incident et prendra sans doute des mesures symboliques. Si tu veux mon avis, c’est probablement parce que Robertson était un bleu et qu’il était nerveux – c’était sa deuxième mission de combat. Il a sans doute cru voir quelque chose et tirer trop sec sur le manche, mais comme ils étaient en queue de formation, personne ne l’a relevé. Merde, Dutch, on a déjà vu ça.

Maxwell hocha la tête.

— Quoi d’autre ?

— Un A-6 s’est fait déchiqueter au nord de Haiphong – des SAM – mais l’équipage a réussi à regagner indemne le bateau. Le pilote et le bombardier ont reçu tous les deux la DFC pour cette action. Sinon, journée calme en mer de Chine du Sud. Pas grand-chose dans l’Atlantique. Méditerranée orientale, il semblerait que les Syriens soient en train de batifoler avec leurs nouveaux MiG, mais ce n’est pas encore notre problème. Nous avons ce rendez-vous avec Grumman, demain, ensuite on monte au Capitole discuter du programme F-14 avec nos dignes représentants de la nation.

— Qu’est-ce que tu dis des caractéristiques du nouveau chasseur ?

— Quelque part, je regrette de ne plus avoir l’âge de prendre le manche, Dutch. Cas réussit à sourire. Mais, bon Dieu, de mon temps, on arrivait à construire un porte-avions rien que pour le prix que va coûter un seul de ces zincs.

— C’est le progrès, Cas.

— Ouais, ça commence à bien faire, grommela Podulski. Encore une chose. J’ai reçu un coup de fil de Pax River. Ton copain a dû rentrer. Son bateau est à quai, en tout cas.

— Tu m’as fait mariner tout ce temps avant de me prévenir ?

— Rien ne presse. C’est un civil, pas vrai ? M’étonnerait pas qu’il roupille jusqu’à neuf ou dix heures.

Maxwell grommela. Ça doit être chouette. Faudra que j’essaye un de ces quatre.

Sans aucun remords
titlepage.xhtml
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Clancy,Tom-[Jack Ryan-01]Sans aucun remords(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html